Sororité professionnelle : levier d’émancipation ou simple effet de mode ?

Sororité professionnelle :

levier d’émancipation ou simple effet de mode ?

Sommaire

  1. La sororité, un concept ancien remis au goût du jour
  2. Sororité au travail : entre soutien sincère et injonction implicite
  3. Sororité en action : des leviers à activer

L’info à retenir

La sororité devient un concept féministe dans les années 1970, symbole de solidarité entre femmes face aux inégalités. Remise au cœur des luttes actuelles, elle s’incarne dans des réseaux, du mentorat et l’entraide professionnelle. Mais elle ne doit pas compenser les failles systémiques ni devenir une injonction implicite. Pour être un véritable levier d’émancipation, la sororité doit se traduire par des actions concrètes, inclusives et structurantes.

La sororité, un concept ancien remis au goût du jour

D’origine latine (sororitas), le mot “sororité” désignait à l’origine une communauté religieuse féminine. Dès le XVIe siècle, Rabelais lui donne une portée plus sociale, évoquant une relation fraternelle entre femmes. Mais c’est dans les années 1970 que le mot prend une tournure politique. La journaliste et militante féministe américaine Robin Morgan, dans son ouvrage Sisterhood Is Powerful, en fait un étendard du féminisme, en opposition directe à la « brotherhood » patriarcale.

Dans les années 2010, alors que la quatrième vague féministe émerge, le terme ressurgit avec force, notamment en France avec l’ouvrage collectif dirigé par Chloé DelaumeSororité, devenu un best-seller. Il incarne alors une volonté : créer des espaces de parole, de soutien et de lutte entre femmes face aux violences systémiques.

En juillet 2024, le tableau sororité de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris, qui représentait dix figures féminines historiques en statues dorées, a frappé les esprits : symbole de force, de mémoire et de protection, cette scène incarne la puissance collective des femmes et la transmission entre générations.

Sororité au travail : entre soutien sincère et injonction implicite

Dans le monde professionnel, la sororité est souvent valorisée comme une forme de soutien entre femmes, un moyen de se hisser ensemble dans des environnements encore largement dominés par les hommes. Mentorat, réseaux féminins, partage d’opportunités : autant de pratiques concrètes qui illustrent cette solidarité.

Selon une étude de la Kellogg School of Management, les femmes entourées d’un cercle solidaire d’autres femmes sont 2,5 fois plus susceptibles d’accéder à des postes à responsabilités, un effet direct sur leur progression et leur rémunération.

Mais attention aux dérives. Car dans certains contextes, la sororité devient aussi une injonction tacite : celle de toujours être solidaire, d’apporter son soutien même lorsque l’organisation, les moyens ou les rapports de force ne le permettent pas.

 Autrement dit il y a une solidarité attendue entre femmes qui doit pallier les manques structurels de l’entreprise.

Certaines femmes peuvent aussi vivre des tensions ou rivalités avec d’autres femmes, du fait de la rareté des places en haut de l’échelle hiérarchique. Une situation parfois instrumentalisée pour discréditer l’idée même de sororité : “si les femmes ne se soutiennent pas entre elles, pourquoi en faire un principe ?”. C’est un raisonnement souvent malhonnête, qui masque les responsabilités systémiques de l’entreprise ou du milieu concerné.

La sororité ne peut pas être une réponse individuelle à des problèmes structurels. Elle est un point de départ, pas une solution miracle.

Sororité en action : des leviers à activer

La sororité ne peut se résumer à un slogan inspirant ou à quelques posts sur LinkedIn. Elle prend tout son sens quand elle se traduit par des actions concrètes, visibles, structurantes, au service de la progression de toutes les femmes, quel que soit leur parcours.

Plusieurs actions possibles :

  • Structurer des réseaux féminins solides et ouverts : les réseaux de femmes jouent un rôle déterminant dans la carrière professionnelle. Mais pour être réellement impactants, ils doivent aller au-delà de la cooptation entre élites : ils doivent inclure les femmes en reconversion, les entrepreneuses, les salariées précaires ou encore celles qui débutent.
  • Favoriser le mentorat : le mentorat est un formidable levier pour transmettre des clés, ouvrir des portes et accélérer les trajectoires. Mettre en place cette pratique dans les entreprises peut réellement changer la donne.
  • Valoriser la coopération plutôt que la compétition : la culture de la compétition entre femmes, alimentée par des années de hiérarchie masculine et de rareté des postes, est encore trop présente. Il est temps de valoriser d’autres modèles de leadership : ceux fondés sur l’entraide, la délégation, la mise en lumière des autres.
  • Visibiliser et raconter : mettre en lumière des parcours de femmes qui se sont hissées aux postes de pouvoir grâce à la solidarité féminine, c’est offrir des projections concrètes à celles qui hésitent, doutent, ou ne se sentent pas légitimes.